Comment le recul, l’introspection et le questionnement nourrissent la performance, l’innovation et l’engagement durable
I – Pourquoi la réflexivité est un enjeu clé dans le monde et les entreprises aujourd’hui
1 – Un monde sous tension permanente
Lorsque j’étais DRH dans des environnements internationaux, j’ai souvent ressenti à quel point les transformations successives — réorganisations, digitalisation, pressions financières — créaient un climat d’incertitude. Un matin, il fallait rassurer des équipes inquiètes pour leur emploi, l’après-midi défendre devant le comité exécutif un plan de réduction de coûts ambitieux. Cette oscillation entre des réalités contradictoires ne peut être vécue qu’avec une réelle capacité de prise de recul réflexive.
Aujourd’hui, ces tensions se sont encore accrues. Ulrich Beck parle de « société du risque » : crises climatiques, géopolitiques, sociales, tout se combine. Zygmunt Bauman ajoute la notion de modernité liquide : plus rien n’est stable. Dans ce contexte, la réflexivité devient une compétence vitale, une boussole dans l’incertitude.
2 – Les paradoxes managériaux
Les managers de proximité, que j’ai accompagnés dans différentes entreprises, se retrouvent en permanence au cœur des paradoxes :
- Produire plus avec moins de moyens.
- Satisfaire des clients exigeants tout en respectant des règles RSE strictes.
- Gérer l’instantanéité du digital tout en construisant une vision long terme.
Un responsable commercial que j’ai récemment coaché illustrait bien cette situation : il devait développer ses ventes dans un contexte d’inflation, tout en intégrant les attentes clients sur la durabilité et la traçabilité alimentaire. Sans réflexivité, il aurait couru derrière les objectifs en mode réactif. Avec des temps de réflexion, il a pu repositionner son discours, travailler avec ses équipes sur les leviers RSE et construire un argumentaire plus impactant.
3 – L’enjeu humain
Selon Gallup (2023), seuls 23 % des salariés se sentent pleinement engagés dans leur travail. 60 % se disent « désengagés silencieux » (quiet quitting), et 17 % « activement désengagés ». Or, l’engagement est directement lié à la qualité relationnelle du management.
Dans mon expérience, un manager réflexif est capable de reconnaître ses émotions, de se questionner sur son style, et donc de créer un climat plus humain. J’ai vu des équipes passer de la défiance à la coopération simplement parce que leur manager avait appris à pratiquer des moments de feedback sincères et réflexifs.
La réflexivité n’est donc pas une option : c’est une nécessité stratégique et humaine pour naviguer dans un monde complexe et maintenir la performance sans sacrifier l’engagement.
II – Les origines et différentes approches de la réflexivité
La réflexivité ne naît pas dans les manuels de management modernes : elle s’enracine dans une longue histoire de pensée, de la philosophie antique aux sciences sociales contemporaines. Comprendre ces origines permet d’éviter de réduire la réflexivité à une simple technique d’introspection. C’est au contraire une posture existentielle, éthique et stratégique, dont la pertinence se révèle plus que jamais dans le management actuel.
1 – Philosophie : du « connais-toi toi-même » à la responsabilité du jugement
Socrate, avec son célèbre « connais-toi toi-même », établit le premier lien entre action et réflexivité. Pour lui, une vie sans examen n’est pas digne d’être vécue. Transposé au monde de l’entreprise, cela questionne : un manager peut-il guider ses équipes s’il ne s’interroge jamais sur ses propres biais, ses émotions, ses croyances ?
Montaigne, quelques siècles plus tard, développe dans ses Essais une pratique quotidienne d’introspection. Son écriture n’est pas narcissique, elle vise à apprendre de soi pour mieux comprendre les autres. De la même manière, dans mes années de DRH, j’ai constaté que les managers qui prenaient le temps de réfléchir à leurs réactions, par exemple après un conflit avec un collaborateur, développaient une intelligence relationnelle bien supérieure à ceux qui avançaient sans jamais se questionner.
Enfin, Hannah Arendt rappelle dans La condition de l’homme moderne que penser, juger et agir sont indissociables. Elle montre que l’absence de réflexivité peut mener à la « banalité du mal » : des individus qui obéissent, agissent, mais ne réfléchissent pas à l’impact de leurs décisions. Dans un contexte d’entreprise, cela peut résonner avec les dérives éthiques liées à la pression du court terme ou à la quête exclusive de performance financière.
La philosophie nous enseigne que la réflexivité n’est pas seulement un outil d’efficacité mais un garde-fou éthique. Dans un monde d’IA générative, de décisions automatisées et de reporting standardisé, le rôle du manager réflexif est précisément de réintroduire une pensée critique et humaine.
2 – Littérature : la conscience de soi comme condition de lucidité
La littérature nous aide à comprendre la réflexivité comme une expérience humaine profonde.
- Chez Proust, la mémoire est une source de sens : relire son passé pour éclairer le présent. Cela résonne avec la pratique managériale de revisiter un projet ou une décision pour y trouver des apprentissages.
- Camus, avec sa lucidité face à l’absurde, nous invite à agir malgré l’incertitude. Dans mes accompagnements de managers, je retrouve souvent cette tension : « Je n’ai pas toutes les réponses, mais je dois avancer ». La réflexivité permet d’assumer ce paradoxe.
- Dostoïevski montre la conscience comme à la fois un fardeau et une force. De nombreux dirigeants que j’ai coachés vivent cela : trop réfléchir peut freiner, mais ne pas réfléchir conduit à des décisions hâtives. L’enjeu est de trouver un juste équilibre.
La littérature nous rappelle que la réflexivité n’est pas une mécanique froide mais un acte profondément humain. Dans des entreprises où l’on parle beaucoup de KPI et de data, elle permet de préserver la dimension existentielle et relationnelle du travail.
3 – Sciences sociales : comprendre ses biais et se réinventer
La réflexivité, dans les sciences sociales, n’est pas seulement un exercice académique. Elle est conçue comme une nécessité pour comprendre et dépasser ses propres déterminismes. Ce que les sociologues ont étudié au niveau du chercheur ou du citoyen, nous pouvons l’appliquer directement au monde du management et des organisations.
- Bourdieu : voir ses propres lunettes
Pierre Bourdieu insiste sur la réflexivité comme condition de toute connaissance scientifique. Selon lui, nous regardons le monde à travers des « lunettes » forgées par notre histoire sociale, notre éducation, notre classe, notre culture professionnelle. Ces schémas intériorisés constituent ce qu’il appelle l’habitus.
Un manager n’y échappe pas. Un ingénieur de formation, par exemple, aura tendance à analyser les problèmes avec une grille technique, privilégiant les chiffres, les modèles, les solutions rationnelles. Un manager issu de la finance privilégiera la logique des coûts et du retour sur investissement.
Sans réflexivité, ces filtres deviennent des prisons invisibles.
Dans une réorganisation que j’ai vécue en tant que DRH, j’ai vu des dirigeants totalement enfermés dans leur logique budgétaire. Ils pensaient qu’en annonçant un plan de réduction des effectifs, « les chiffres parleraient d’eux-mêmes ». Mais les équipes, elles, voyaient un manque de considération humaine. La tension est devenue telle qu’il a fallu reconstruire le dialogue. Un exercice réflexif collectif, où chaque dirigeant a été invité à analyser d’où il parlait, a permis de comprendre que leurs « lunettes financières » les empêchaient de voir la dimension humaine et symbolique de leurs décisions.
Dans un monde multiculturel et hybride, le manager doit être conscient de ses filtres pour éviter les malentendus. Les biais inconscients sur la diversité, par exemple, se corrigent d’abord par un travail réflexif.
- Giddens : l’identité en mouvement permanent
Anthony Giddens, sociologue britannique, va plus loin en expliquant que la modernité est réflexive par essence. Dans un monde où les traditions s’effritent et où les repères changent sans cesse, chacun doit se reconstruire en permanence. L’identité n’est plus donnée, elle se fabrique à travers un travail réflexif constant.
Pour un manager, cela signifie que son rôle n’est jamais figé. Le « chef autoritaire » d’hier doit devenir un « leader collaboratif » aujourd’hui, et demain peut-être un « facilitateur d’intelligence collective ».
J’ai accompagné un dirigeant dans le secteur technologique qui disait :
« Mon métier a changé trois fois en dix ans : avant j’étais expert, puis manager de projet, et maintenant je dois être coach de mes propres équipes. »
Ce témoignage illustre ce que Giddens décrit : l’identité managériale est en mouvement permanent. Ceux qui refusent ce travail réflexif de redéfinition s’accrochent à une image du passé et se retrouvent en décalage avec les attentes de leurs équipes.
L’essor du télétravail et des équipes hybrides oblige les managers à repenser leur rôle : comment créer du lien à distance ? Comment incarner une présence sans être physiquement là ? Ce n’est pas une simple question d’outils, mais une reconstruction identitaire réflexive.
Les sciences sociales montrent donc que :
- Sans réflexivité, nous sommes prisonniers de nos biais (Bourdieu).
- Avec la réflexivité, nous pouvons redéfinir notre identité face à des environnements mouvants (Giddens).
Dans le monde de l’entreprise, cela se traduit par deux enjeux concrets :
- Réduire les angles morts managériaux.
Par exemple, dans une entreprise internationale que j’ai accompagnée, les managers français interprétaient le silence de certains collègues d’autes cultures comme de l’adhésion, alors que c’était souvent une politesse. La réflexivité culturelle a permis de comprendre ces malentendus.
- Accepter de se réinventer.
Les managers qui réussissent les transformations sont ceux qui acceptent de se dire : « Ce que j’ai appris jusqu’ici ne suffit plus. Qui dois-je devenir pour être utile demain ? »
Selon une étude de McKinsey (2022), 70 % des transformations échouent, non pas faute de stratégie, mais parce que les comportements et les identités managériales ne s’adaptent pas.
Par ailleurs, le MIT Sloan (2021) montre que les entreprises où les leaders sont capables de redéfinir leur rôle et leur identité en contexte de changement augmentent de 30 % leur taux de réussite dans les transformations digitales.
Les apports de Bourdieu et Giddens ne sont pas de simples références académiques. Ils éclairent un enjeu très actuel :
- Le manager doit voir ses propres filtres (réflexivité critique).
- Le manager doit reconstruire son identité en permanence (réflexivité identitaire).
La réflexivité devient alors un outil de lucidité et d’adaptation, sans lequel il est impossible de réussir dans les environnements incertains d’aujourd’hui.
4 – Économie et comportements humains : de la théorie des marchés aux biais cognitifs
L’économie a longtemps été perçue comme une science rationnelle. Pourtant, plusieurs penseurs ont montré que les comportements humains — croyances, perceptions, biais — influencent directement la réalité. Cette idée, centrale chez George Soros ou dans l’économie comportementale de Kahneman et Tversky, éclaire puissamment les défis des managers aujourd’hui.
- Soros : la réflexivité des marchés appliquée au management
George Soros a popularisé l’idée que les marchés financiers sont réflexifs : les anticipations des investisseurs influencent la réalité économique, qui à son tour modifie les anticipations. Autrement dit, nos croyances ne sont pas de simples opinions, elles façonnent les faits.
Ce mécanisme est visible en entreprise :
- Si un dirigeant pense que ses équipes sont peu innovantes, il investira moins dans leurs idées, fixera des objectifs étroits, créant ainsi un climat peu propice à la créativité. Résultat : les équipes confirment la croyance initiale.
- À l’inverse, croire en la capacité des collaborateurs à s’adapter ouvre un cercle vertueux : on leur fait confiance, on leur donne de l’espace, et ils deviennent effectivement plus créatifs.
Lors d’une fusion internationale, j’ai vu un comité de direction persuadé que « les équipes ne suivraient jamais ». Les décisions ont été communiquées de manière descendante, sans dialogue. La prophétie s’est réalisée : résistance, perte de motivation, départs. Dans un autre projet similaire, le simple fait de croire en la capacité des collaborateurs à être force de proposition a changé la donne : un processus participatif a généré un engagement massif.
- Kahneman et Tversky : les biais cognitifs dans la décision managériale
Daniel Kahneman et Amos Tversky, fondateurs de l’économie comportementale, ont démontré que nous sommes loin d’être des êtres rationnels. Nous décidons à travers des heuristiques et des biais cognitifs, souvent inconscients.
Quelques biais particulièrement fréquents dans le management :
- Biais de confirmation : chercher uniquement les informations qui confirment notre hypothèse.
- Effet de halo : généraliser une impression positive ou négative à l’ensemble d’une personne.
- Biais de statu quo : préférer l’existant même quand le changement est bénéfique.
J’ai accompagné un dirigeant qui refusait d’intégrer une collaboratrice dans son comité car « elle manquait de leadership ». En creusant, nous avons découvert que ce jugement était lié à un biais culturel : elle avait un style plus réservé, mais très efficace en termes d’influence. Avec un travail réflexif, il a revu son jugement et elle est devenue un atout majeur dans la transformation de l’entreprise.
Dans un monde où les décisions doivent être rapides (digital, IA, crises), les biais se renforcent. La réflexivité est l’antidote : elle permet de ralentir le processus, de confronter ses jugements, de diversifier les points de vue.
La discipline réflexive comme garde-fou
Les travaux de Soros et Kahneman convergent : sans réflexivité, nous confondons nos croyances avec des réalités. Dans le management, cela peut être destructeur.
- Un biais non conscient peut exclure un talent ou freiner une innovation.
- Une croyance limitante (« on n’y arrivera jamais ») peut condamner une transformation avant même qu’elle commence.
Lors d’un séminaire avec des managers commerciaux, certains étaient convaincus que « les clients ne s’intéressent pas à la RSE ». En travaillant sur des cas concrets et en analysant les attentes clients, ils ont découvert que c’était leur croyance qui les empêchait d’ouvrir des conversations plus riches. Une fois cette croyance déconstruite, leurs discours commerciaux ont gagné en impact.
Données à l’appui
- McKinsey (2021) estime que 60 % des erreurs de décision stratégique dans les entreprises sont liées à des biais cognitifs non identifiés.
- Une étude de la Harvard Business Review (2022) montre que les équipes managériales qui intègrent des pratiques réflexives (analyse des biais, confrontation des hypothèses) prennent des décisions 20 % plus efficaces et 29 % plus rapides.
- Selon l’ICF (2023), 86 % des clients de coaching déclarent que la réflexivité les a aidés à dépasser leurs croyances limitantes.
L’économie comportementale et la théorie de Soros démontrent que :
- Nos croyances façonnent nos réalités professionnelles.
- Nos biais cognitifs peuvent nous piéger si nous ne les identifions pas.
- La réflexivité est une discipline de lucidité qui protège des illusions et favorise des décisions plus justes et plus performantes.
Pour les managers, cela signifie que la réflexivité n’est pas seulement une qualité humaine, mais une compétence stratégique, essentielle pour naviguer dans un monde complexe où la perception et la réalité s’entremêlent.
5 – Donald Schön et le praticien réflexif : un pont entre pensée et action
Si les philosophes et sociologues ont montré l’importance de la réflexivité, Donald Schön a fait entrer ce concept au cœur du monde professionnel. Dans The Reflective Practitioner (1983), il propose une vision qui résonne particulièrement avec les défis des managers : la réflexivité n’est pas un temps hors de l’action, mais une compétence intégrée à l’action elle-même.
- Réfléchir dans l’action et sur l’action
Schön distingue deux dimensions :
-
- La réflexion dans l’action : la capacité à s’observer et à ajuster ses gestes en temps réel.
- La réflexion sur l’action : analyser après coup pour apprendre et progresser.
Lors d’une négociation sociale tendue, j’ai expérimenté la première dimension. En pleine réunion, alors que le dialogue s’envenimait, j’ai eu ce « moment réflexif » : « Quelle énergie suis-je en train de transmettre ? Est-ce que mon attitude favorise le dialogue ou renforce la confrontation ? » Ce pas de côté m’a permis de moduler mon ton et de rouvrir l’espace de discussion. C’est exactement ce que Schön appelle réfléchir dans l’action.
Puis, avec mon équipe RH, nous avons débriefé cette séquence. Ce temps de réflexion sur l’action a révélé que nos préparations étaient trop centrées sur les arguments chiffrés, pas assez sur les dynamiques émotionnelles. Cette prise de conscience nous a permis de préparer différemment les échanges suivants.
- Le praticien réflexif dans les organisations
Schön insiste sur le fait que les professions ne sont pas seulement techniques : elles sont « indéterminées, instables et uniques ». Chaque manager fait face à des situations nouvelles, où les recettes passées ne suffisent pas. La réflexivité devient alors une pratique de l’improvisation éclairée.
Dans un projet international, j’ai accompagné des équipes qui devait déployer un nouvel outil. Très vite, les plans prévus se sont heurtés à des résistances locales. Au lieu de s’entêter, le chef de projet a utilisé la réflexivité dans l’action : il a écouté les signaux faibles, adapté sa communication, intégré des relais locaux. Ce processus, loin du plan initial, a permis un déploiement réussi.
Dans un monde où l’IA, les crises géopolitiques ou les attentes clients changent la donne en permanence, le manager doit être capable de « danser avec l’imprévu ». La réflexivité, au sens de Schön, est précisément cette capacité.
- Réflexivité et apprentissage en double boucle
Avec Chris Argyris, Schön élargit le propos : il ne s’agit pas seulement de corriger les erreurs (apprentissage en simple boucle) mais de questionner les modèles mentaux qui les produisent (apprentissage en double boucle).
J’ai coaché un manager qui se plaignait du manque d’initiative de ses collaborateurs. En réfléchissant avec lui, nous avons découvert que son style de management — très directif — décourageait toute prise de risque. Ce n’était pas un simple « problème d’équipe », mais un modèle mental : il croyait qu’un bon manager devait toujours avoir la réponse. En travaillant sur cette croyance, il a pu changer son style, donner plus d’autonomie, et voir ses collaborateurs s’engager davantage.
Dans les entreprises, nombre de transformations échouent car elles restent au niveau de la simple boucle (« corriger un process ») sans oser aller à la double boucle (« repenser le modèle mental de leadership ou d’organisation »).
- La réflexivité comme compétence d’avenir
Schön a ouvert une voie que de nombreuses pratiques actuelles prolongent :
- Les rétrospectives agiles sont des moments organisés de réflexion sur l’action collective.
- Les after action reviews (armée américaine, puis entreprises) institutionnalisent la double boucle.
- Le coaching professionnel s’appuie directement sur cette dynamique.
Selon une étude du MIT Leadership Center (2021), les dirigeants qui consacrent au moins 15 minutes par jour à une réflexion structurée améliorent leur productivité de 20 %.
Par ailleurs, Harvard Business Review (2022) souligne que les entreprises qui organisent des pratiques réflexives régulières (rétrospectives, debriefs, supervision) augmentent leur taux de réussite des projets de 25 %.
Donald Schön nous rappelle que la réflexivité n’est pas un luxe intellectuel :
- C’est une compétence opérationnelle, qui permet d’agir avec lucidité dans l’imprévu.
- Elle transforme le manager en praticien réflexif, capable d’apprendre en permanence.
- Elle invite à dépasser la correction superficielle pour interroger les croyances profondes qui guident l’action.
Dans un monde incertain, les managers qui réussissent ne sont pas ceux qui « savent tout », mais ceux qui réfléchissent dans et sur l’action, en acceptant de revisiter leurs modèles mentaux.
- De l’héritage à l’actualité
Les sources philosophiques, littéraires, sociologiques et économiques convergent : la réflexivité est une pratique humaine universelle, mais elle prend une importance particulière aujourd’hui dans un monde en accélération.
- La philosophie rappelle son rôle éthique.
- La littérature montre sa dimension humaine et existentielle.
- Les sciences sociales soulignent son rôle d’adaptation identitaire.
- L’économie et la psychologie en font un outil de lucidité face aux biais.
- Schön en fait une compétence professionnelle au cœur du management.
La réflexivité, loin d’être un luxe intellectuel, est un socle indispensable pour affronter les paradoxes contemporains des entreprises et accompagner leurs transformations.
III – La réflexivité comme clé du management
1 – Le manager réflexif : entre lucidité et humanité
Être manager aujourd’hui, c’est vivre en permanence dans la tension. Les attentes de la direction, des clients, des collaborateurs, des partenaires sociaux, se croisent et s’entrechoquent. Dans ce tourbillon, certains managers se réfugient dans l’exécution mécanique : appliquer les directives, produire les reportings, tenir les délais. D’autres s’épuisent à vouloir répondre à tout, en multipliant les efforts jusqu’au burn-out. Mais il existe une troisième voie : celle du manager réflexif, capable de maintenir un cap grâce à une boussole intérieure.
Le manager réflexif n’est pas celui qui doute sans cesse de lui-même. Il n’est pas non plus dans l’introspection paralysante. Sa force tient dans sa capacité à observer ses propres réactions, à se demander : « Qu’est-ce qui se joue en moi dans cette situation ? Pourquoi ai-je pris cette décision ? Comment mes comportements impactent-ils les autres ? » Cette lucidité lui permet de sortir de l’automatisme et de réajuster son action en temps réel.
J’ai vu cette transformation à l’œuvre chez un Directeur Général qui pensait motiver ses collaborateurs par un discours énergique et directif. Or, les feedbacks anonymes montraient que ses interventions étaient perçues comme agressives et démotivantes. Au lieu de se défendre, il a accepté d’entrer dans une démarche réflexive. Nous avons travaillé ensemble sur ses intentions et sur l’écart avec l’effet produit. Petit à petit, il a appris à moduler sa voix, à poser plus de questions, à écouter davantage. Ce travail ne l’a pas affaibli, au contraire : il est devenu plus crédible et plus respecté.
C’est là que réside la clé : la réflexivité ne diminue pas l’autorité managériale, elle lui donne au contraire une épaisseur humaine. Elle transforme le manager en leader capable de conjuguer lucidité et authenticité.
2 – Le leadership réflexif : apprendre à se réinventer
Un leader n’est pas seulement jugé sur ses résultats, mais sur sa capacité à se réinventer dans un monde en perpétuel mouvement. La réflexivité est le moteur de cette réinvention.
Nelson Mandela en est une figure emblématique. Ses 27 années de prison furent aussi un long travail réflexif : sur son combat, sur ses erreurs, sur sa vision de l’avenir. Quand il sort de prison, il ne prône pas la revanche mais la réconciliation. C’est un exemple extrême, mais il illustre ce que le leadership réflexif permet : transformer une épreuve en apprentissage, et un apprentissage en vision.
Dans le monde des affaires, Satya Nadella a incarné ce type de leadership en transformant Microsoft. À son arrivée, l’entreprise était enfermée dans une culture de compétition interne et d’expertise figée. Nadella a insufflé une nouvelle philosophie : passer du know-it-all (« je sais tout ») au learn-it-all (« j’apprends toujours »). Ce basculement culturel est une invitation directe à la réflexivité : se détacher de l’illusion de maîtrise pour entrer dans une logique d’apprentissage continu.
Dans mon expérience de coach, j’ai vu des dirigeants faire ce chemin à titre personnel. Un directeur technique, brillant mais autoritaire, s’est retrouvé en difficulté lors d’une transformation digitale. Ses équipes se plaignaient de son manque d’écoute. En coaching, il a pris conscience que sa croyance — « un bon manager doit avoir toutes les réponses » — l’empêchait d’impliquer ses collaborateurs. Cette prise de conscience réflexive a été douloureuse mais libératrice. En abandonnant le rôle du sachant, il a ouvert la voie à un leadership plus collaboratif, qui a redynamisé ses équipes.
Le leadership réflexif repose donc sur une conviction : pour rester crédible et inspirant, le leader doit accepter de se réinventer sans cesse.
3 – La réflexivité face aux injonctions contradictoires
Le management moderne est saturé d’injonctions contradictoires. On demande aux managers de réduire les coûts tout en investissant dans l’innovation, d’aller vite tout en respectant les processus, d’être proches de leurs équipes tout en gardant une distance hiérarchique. Ces paradoxes, s’ils ne sont pas réfléchis, deviennent destructeurs.
Sans réflexivité, le manager se retrouve ballotté, culpabilisé, tiraillé. Mais avec la réflexivité, il peut les analyser, les nommer, et surtout les arbitrer de manière consciente. C’est la différence entre subir et choisir.
Un manager que j’ai accompagné m’a dit un jour : « Je croyais que je devais être à la fois le protecteur de mon équipe et le garant des objectifs. Je vivais cette double exigence comme une contradiction insurmontable. Aujourd’hui, je comprends que je peux être l’un ou l’autre selon les moments, mais que je dois l’assumer clairement. » Cette clarification, née de la réflexivité, a réduit son stress et renforcé la confiance de son équipe.
Les recherches confirment que cette compétence est stratégique. Korn Ferry (2021) a identifié la réflexivité comme l’une des cinq compétences critiques des leaders de demain. Gallup (2022) a montré que les équipes dirigées par des managers capables de s’auto-questionner sont 21 % plus productives et 17 % plus engagées.
La réflexivité devient ici une boussole éthique et pratique, qui aide le manager à traverser les contradictions sans s’y perdre.
4 – La réflexivité comme éthique managériale
La réflexivité n’est pas seulement un outil d’efficacité, c’est aussi une exigence éthique. Hannah Arendt nous a prévenus : lorsque les individus cessent de penser par eux-mêmes, ils deviennent capables du pire. Dans le monde de l’entreprise, les dérives les plus graves — fraudes, maltraitances sociales, décisions destructrices — naissent souvent de l’absence de réflexivité.
Je me souviens de certains cadres d’une entreprise qui me racontaient que leur management leur proposaient d’annoncer des suppressions de postes uniquement par email, pour « aller vite ». Pris dans la logique de l’efficacité, ils en oubliaient la dignité des personnes. C’est en prenant un moment de réflexion collective — « Qu’est-ce que ce mode d’annonce dit de nous ? » — Qu’ils ont convaincu leur management de privilégier des entretiens individuels, accompagnés d’un dispositif de soutien. Cela n’a pas changé la dureté de la décision, mais cela a changé la manière de la mettre en œuvre, et donc le vécu humain des salariés concernés.
La réflexivité éthique, c’est la capacité de se demander non seulement : « Est-ce efficace ? » mais aussi : « Est-ce juste ? Est-ce humain ? »
5 – Le manager réflexif comme modèle et catalyseur
La réflexivité ne reste jamais confinée à l’individu. Elle est contagieuse. Lorsqu’un manager ose dire : « J’ai appris de cette erreur » ou « Je ne sais pas, cherchons ensemble », il envoie un signal puissant à son équipe : il est possible d’apprendre, d’expérimenter, de se tromper.
Dans une PME que j’ai accompagnée, le dirigeant avait pris l’habitude d’ouvrir chaque comité de direction par une réflexion personnelle : « Voici ce que j’ai appris ce mois-ci, et voici où je pense m’être trompé. » Au début, ses collaborateurs étaient surpris, presque gênés. Mais peu à peu, ils ont imité son comportement. Le comité, auparavant marqué par la défensive et la justification, est devenu un espace de recherche collective et d’innovation.
Le manager réflexif devient ainsi un catalyseur culturel. Par son exemple, il installe une culture de transparence et d’apprentissage. Ce qui, à terme, transforme non seulement les pratiques individuelles mais aussi l’ADN de l’organisation.
La réflexivité est plus qu’une compétence managériale : c’est une posture de leadership. Elle permet au manager :
- de gagner en lucidité sur lui-même,
- de se réinventer face à un monde en mouvement,
- de naviguer consciemment dans les paradoxes,
- de prendre des décisions justes et responsables,
- et de devenir un modèle qui diffuse une culture d’apprentissage.
En ce sens, la réflexivité n’est pas seulement une clé du management, elle en est le cœur battant. Elle relie la performance, l’humanité et l’éthique dans une même dynamique.
V- La réflexivité en coaching
1 – La réflexivité, cœur battant du coaching
Le coaching ne vit pas sans réflexivité. Là où la formation transmet des savoirs, et où le conseil propose des solutions, le coaching ouvre un espace singulier : un espace de questionnement. C’est un lieu où l’on apprend à se regarder agir, à analyser ses réactions, à déconstruire ses croyances.
Lorsque j’étais DRH, mon rôle était d’apporter des réponses : concevoir des politiques RH, arbitrer entre des contraintes budgétaires et sociales, sécuriser des décisions stratégiques. J’étais dans une posture d’action et de solution. Devenir coach m’a obligé à traverser une profonde métamorphose réflexive. J’ai dû accepter que ma valeur n’était plus dans « l’expertise » ou la « décision », mais dans ma capacité à offrir un miroir, à accompagner l’autre dans son propre cheminement.
Ce déplacement de posture n’a pas été immédiat. Il m’a fallu des années de supervision, d’écriture réflexive et de formation pour apprivoiser cette nouvelle identité. Mais ce chemin m’a enrichi : il m’a appris que la véritable transformation ne vient pas des réponses toutes faites, mais de la puissance d’une prise de conscience réflexive. C’est ce qui nourrit ma pratique aujourd’hui : créer des espaces où mes clients peuvent découvrir par eux-mêmes ce qui fait sens pour eux.
2 – Les outils comme catalyseurs de réflexivité
Dans ma pratique de coach, les outils de personnalité ou de dynamique relationnelle ne sont jamais des fins en soi. Je les conçois comme des miroirs provisoires qui permettent aux personnes de se regarder autrement, de prendre conscience de leur manière d’agir et de leur impact. C’est cette fonction réflexive qui leur donne tout leur sens.
Prenons l’exemple du MBTI. Il est parfois critiqué comme un outil réducteur, enfermant les individus dans des « cases ». Mais bien utilisé, il ouvre des portes. J’ai accompagné un dirigeant très orienté sur la logique et la rigueur (préférence pensée – T). Pour lui, les décisions devaient être « rationnelles ». À travers le MBTI, il a découvert qu’il minimisait la dimension « sentiment » (F), c’est-à-dire l’attention aux personnes. Ce n’était pas une révélation théorique, mais une véritable prise de conscience réflexive : il comprenait pourquoi ses équipes se sentaient parfois peu écoutées. Ce miroir l’a aidé à équilibrer ses décisions, sans perdre sa rigueur, mais en intégrant davantage l’impact humain. J’aime proposer à mes clients le modèle de décision en Z qui permet de parcourir toutes les 4 préférences avant de décider afin de ne pas être « enfermé » dans son propre shéma naturel.
Le DISC fonctionne de la même manière. Dans un séminaire que j’ai pu animer, de nombreux commerciaux ont réalisé qu’ils parlaient aux clients en fonction de leur propre style. Un profil « rouge » (direct, orienté résultat) avait tendance à dérouler un argumentaire factuel et pressant, y compris face à des clients « verts » (coopératifs, sensibles à la relation). La confrontation avec le modèle DISC a provoqué une prise de conscience réflexive immédiate : « Ce n’est pas que mes clients n’écoutent pas, c’est que je ne leur parle pas leur langage. » À partir de là, ils ont pu adapter leurs discours et gagner en efficacité.
Enfin, l’ascenseur émotionnel est un outil que j’utilise régulièrement pour travailler sur la conscience émotionnelle. Beaucoup de dirigeants, surtout dans des milieux exigeants comme la finance ou l’industrie, ont appris à refouler leurs émotions. En visualisant leurs états intérieurs comme des « étages » — peur au sous-sol, confiance plus haut, sérénité au sommet — ils peuvent se situer et choisir de « monter » d’un niveau. Cette image simple mais puissante crée un espace réflexif : elle permet d’accueillir ses émotions plutôt que de les subir, et d’agir en conscience.
Ces outils, je les maîtrise d’autant mieux que je les ai appliqués à moi-même dans ma transition de DRH à coach. Me confronter à mes propres résultats MBTI, DISC, ou à mes schémas émotionnels m’a obligé à regarder mes angles morts. Ce travail réflexif personnel est devenu la colonne vertébrale de ma pratique : je ne propose jamais un outil que je n’ai pas d’abord traversé.
3 – Réflexivité et coaching individuel : un miroir intime
Le coaching individuel est sans doute le lieu où la réflexivité prend sa forme la plus intime et la plus profonde. Dans cet espace protégé, le client peut explorer des zones de lui-même qu’il n’a jamais osé regarder.
Je pense à ce dirigeant du private equity que j’ai accompagné en transition. Au départ, il était crispé sur un seul sujet : « éviter le saut dans l’inconnu ». Il voulait une certitude, une trajectoire garantie. Mais derrière cette demande rationnelle, il y avait une peur : perdre ses repères, se retrouver vulnérable. À travers des exercices réflexifs — notamment un travail d’écriture sur ce qu’il voulait « absolument garder » et ce qu’il « refusait désormais » — il a découvert que sa sécurité ne viendrait pas d’un contrat ou d’un salaire, mais de la clarté de ses envies profondes.
Ce processus m’a rappelé ma propre transition. Quand j’ai quitté mon rôle de DRH, j’ai moi aussi été confronté à ce vertige. Pendant des années, j’avais construit mon identité sur mon expertise, mes responsabilités, mon rôle dans des comités de direction. En devenant coach, je quittais ces repères. Ce n’est qu’en acceptant une démarche réflexive profonde — supervision, écriture, mise en miroir — que j’ai compris que je ne perdais pas ma légitimité, je la redéfinissais. Ce vécu personnel m’aide aujourd’hui à accompagner les dirigeants en transition : je sais ce que cela coûte, mais aussi ce que cela ouvre.
Le coaching individuel n’est pas une accumulation de conseils, mais une expérience réflexive guidée. Le coach est un compagnon de chemin qui invite à ralentir, à se poser les questions que l’on évite, à mettre des mots sur des ressentis diffus.
4 – Réflexivité et coaching collectif : l’effet miroir du groupe
La réflexivité prend une dimension particulière lorsqu’elle est vécue en collectif. Si, en coaching individuel, l’espace réflexif est celui du dialogue intime entre le coach et le coaché, dans le coaching collectif il se déploie dans une résonance multiple. Chaque membre devient à la fois acteur et miroir, partageant son expérience tout en apprenant de celle des autres. Cette dynamique donne une puissance supplémentaire : elle crée une intelligence réflexive collective.
Dans les ateliers de codéveloppement, je vois souvent se produire ce que le psychosociologue Adrien Payette, inventeur de la méthode, décrivait : un problème exprimé par un participant résonne dans l’expérience des autres, chacun apporte un morceau de compréhension, et le groupe, dans sa diversité, devient un révélateur de zones aveugles.
Je me souviens d’un manager qui confiait : « Je n’arrive pas à déléguer. » Il attendait des conseils pratiques, une « recette ». Mais le groupe n’est pas tombé dans cette tentation. Les autres participants lui ont posé des questions simples mais puissantes :
- « Qu’est-ce que tu crains si tu délègues ? »
- « Comment tes collaborateurs perçoivent-ils ton comportement ? »
- « Qu’est-ce que tu voudrais libérer en toi si tu pouvais déléguer davantage ? »
Au fil des échanges, il a compris que le problème n’était pas ses collaborateurs mais sa propre peur de perdre le contrôle et sa croyance que « prouver sa valeur » passait par le fait de tout maîtriser. Cette prise de conscience, il n’aurait peut-être jamais pu l’atteindre seul, ni même en tête-à-tête avec un coach. Mais dans le miroir collectif, il a vu son propre schéma se refléter à travers les autres.
- De l’équipe au collectif apprenant
Le coaching collectif n’est pas seulement un outil de résolution de problèmes. C’est une expérience de transformation collective. Quand une équipe accepte de s’arrêter, de se regarder fonctionner, de mettre en mots ses tensions ou ses succès, elle devient ce que Peter Senge appelle une learning team : une équipe apprenante.
J’ai accompagné un comité de direction qui, au départ, était fragmenté. Chaque membre défendait son territoire, les réunions étaient des joutes de pouvoir. En introduisant un rituel réflexif — 30 minutes à la fin de chaque réunion pour analyser non pas les décisions, mais la qualité de la coopération — un basculement s’est produit. Les dirigeants ont pris conscience de leurs postures, de leurs non-dits, de leur tendance à couper la parole. Peu à peu, le climat a changé. Les désaccords n’ont pas disparu, mais ils sont devenus discutables sans être destructeurs. L’équipe est passée d’un collectif défensif à un collectif réflexif.
- Une pratique exigeante pour le coach
Animer un coaching collectif réflexif n’est pas simple. Cela demande au coach une grande neutralité et une attention fine aux dynamiques de groupe. Pour ma part, j’ai dû apprendre à résister à la tentation de « sauver » un participant en difficulté, ou de donner une solution pour accélérer le processus. La force de la réflexivité collective vient justement du temps laissé aux échanges, de la confiance dans le fait que le groupe trouvera sa propre voie.
Mon propre chemin réflexif m’a beaucoup aidé ici. En passant de DRH à coach, j’ai appris à me taire, à ne pas chercher à contrôler l’issue, à supporter le silence. Ces apprentissages personnels nourrissent directement ma pratique : je sais que c’est dans le vide apparent que surgissent souvent les révélations les plus fortes.
- Les bénéfices pour les organisations
Les bénéfices de la réflexivité collective dépassent largement la résolution de problèmes immédiats.
- Elle crée une culture du feedback, où chacun ose dire et entendre des vérités.
- Elle renforce la cohésion, car les membres découvrent que leurs difficultés résonnent souvent chez les autres.
- Elle stimule l’innovation, car les points de vue multiples produisent des idées inédites.
Une étude de la Harvard Business Review (2022) a montré que les organisations qui pratiquent régulièrement des rituels réflexifs collectifs (rétrospectives, debriefs, codéveloppement) augmentent leur capacité d’innovation de 20 %. Dans mon expérience, elles augmentent aussi la qualité des relations humaines, ce qui est tout aussi stratégique.
La réflexivité en coaching collectif est donc bien plus qu’une technique : c’est un processus qui transforme un groupe en miroir élargi. Chaque individu se voit reflété dans l’expérience des autres. Les problèmes individuels deviennent des occasions d’apprentissage collectif. Et l’équipe, en apprenant à réfléchir sur elle-même, devient plus agile, plus créative, plus humaine.
Pour moi, c’est l’un des aspects les plus puissants du coaching : voir un collectif passer du mode défensif (« je protège mon territoire ») au mode réflexif (« je regarde avec toi ce qui se joue et nous cherchons ensemble »). C’est dans ce basculement que naissent les équipes réellement performantes et durables.
5 – Les bénéfices mesurés de la réflexivité en coaching
La réflexivité peut sembler abstraite. Pourtant, ses effets sont mesurés.
- Selon l’ICF (2023), 86 % des clients de coaching déclarent que l’accompagnement a amélioré leur capacité de réflexivité.
- PwC (2022) estime que le ROI moyen du coaching est de x7.
- Une enquête HBR (2020) révèle que 48 % des dirigeants coachés considèrent la réflexivité comme le bénéfice principal, devant même l’amélioration des compétences techniques ou de communication.
Mais au-delà des chiffres, ce que je constate dans ma pratique, ce sont les moments de bascule. Ce dirigeant qui dit soudain : « Je comprends pourquoi mes équipes ne prennent pas d’initiative ». Cette manager qui réalise : « Je croyais que je devais être forte en permanence, mais en fait, c’est quand je montre mes fragilités que mes collaborateurs se rapprochent. » Ces déclics réflexifs changent durablement la manière d’être et d’agir.
6 – Mon propre chemin réflexif et son impact sur ma pratique
Si je crois autant à la force de la réflexivité, c’est parce que je l’ai expérimentée sur moi-même. Passer de DRH à coach n’a pas été un simple changement de métier, mais une transformation identitaire.
En devenant coach, j’ai dû déconstruire certaines croyances profondément ancrées :
- « Ma valeur vient de mes réponses » → transformée en « Ma valeur est dans mes questions ».
- « Être légitime, c’est décider » → transformée en « Être légitime, c’est accompagner la décision des autres ».
- « La performance se mesure en résultats » → élargie à « La performance durable se construit dans l’alignement et le sens ».
Ce chemin réflexif a été parfois inconfortable. Il m’a confronté à mes propres peurs : peur de ne plus être « utile », peur de perdre un statut, peur de l’incertitude. Mais il m’a appris l’essentiel : la réflexivité n’est pas un supplément d’âme, c’est une force de transformation.
Aujourd’hui, quand j’accompagne un dirigeant ou une équipe, je ne parle pas seulement de réflexivité : je l’incarne. J’ai traversé ce processus, je connais ses vertiges et ses bénéfices. C’est ce qui me permet d’être à la fois exigeant et bienveillant dans ma pratique : je sais que la réflexivité est parfois inconfortable, mais je sais aussi qu’elle ouvre des possibles insoupçonnés.
VI – Comment développer sa réflexivité et en faire un levier de performance durable
1- La réflexivité au niveau individuel : une discipline de soi
Développer sa réflexivité commence par un travail sur soi. La première étape est d’accepter de ralentir dans un monde qui valorise la vitesse et la réactivité. Cela passe par des pratiques concrètes.
Le journaling, par exemple, est une méthode simple mais puissante. Écrire chaque jour quelques lignes sur ce que l’on a vécu, ce que l’on a ressenti, ce que l’on a appris, crée une distance réflexive. Lorsque j’étais DRH, je notais déjà certains événements dans un carnet, mais c’est surtout en devenant coach que j’ai systématisé cette pratique. Relire mes notes quelques semaines plus tard m’a souvent permis de voir des schémas qui m’échappaient dans l’instant.
La supervision est une autre pratique clé. En tant que coach, j’ai appris combien il était nécessaire de me confronter au regard de pairs pour analyser ma posture, mes émotions, mes biais. C’est une école d’humilité : admettre que même l’accompagnant a besoin d’être accompagné. Cette pratique m’a libéré du mythe du coach « parfait » et m’a permis d’oser davantage ma vulnérabilité auprès de mes clients.
Enfin, il existe des moments réflexifs plus informels : une marche, une conversation avec un mentor, un silence assumé. Ce qui compte, c’est de créer un espace pour se demander : « Qu’est-ce que je vis ? Qu’est-ce que cela dit de moi ? »
Au niveau individuel, la réflexivité est une discipline. Elle exige de la régularité, de la sincérité, et parfois du courage pour affronter ce que l’on préfère ignorer. Mais elle est aussi profondément libératrice : elle permet de reprendre la main sur ses choix, au lieu de les subir.
2 – La réflexivité au niveau collectif : apprendre ensemble
La réflexivité se démultiplie lorsqu’elle est vécue en groupe. Dans les collectifs, elle devient un miroir partagé, une ressource où chacun s’enrichit de la diversité des autres.
Le feedback en est la première clé. Dans une équipe, instaurer une culture où l’on peut dire : « Voilà ce que j’ai ressenti quand tu as agi ainsi » ou « Voilà l’impact de ton comportement sur moi » est un acte réflexif puissant. Lorsque j’étais DRH, j’ai souvent constaté que les managers évitaient ces conversations, par peur de froisser. Aujourd’hui, comme coach, j’aide les équipes à les pratiquer. Et je constate qu’au-delà de l’inconfort initial, ces échanges renforcent la confiance et la performance.
Les rituels collectifs — rétrospectives agiles, after-action reviews, réunions de débrief — sont une autre voie. J’ai pratiqué en tant que DRH les réunions en mode « animation délégué » en insistant sur le rôle du « Metafeedbacker » : à la fin de chaque réunion, nous avons instauré 15 minutes pour analyser non pas les décisions, mais la manière dont la réunion s’était déroulée. Au départ, les participants étaient sceptiques : « Encore du temps perdu ». Mais peu à peu, ils ont découvert la richesse de ce moment : prise de conscience des dynamiques, ajustements immédiats, amélioration continue. Aujourd’hui beaucou de mes clients utilisent cette approche pour renforcer leur dynamique d’équipe.
Enfin, le codéveloppement est sans doute la forme la plus aboutie. Dans les ateliers, un participant expose un problème, les autres posent des questions, apportent des perspectives. Ce processus est d’une efficacité redoutable pour décaler le regard, sortir des évidences, et trouver de nouvelles voies.
Au niveau collectif, la réflexivité transforme une équipe en système apprenant. Elle passe du mode défensif (« je protège ma position ») au mode collaboratif (« nous cherchons ensemble »).
3 – La réflexivité au niveau organisationnel : créer une culture apprenante
La réflexivité ne devient un levier durable que lorsqu’elle dépasse les individus pour s’ancrer dans le fonctionnement même des organisations. Trop souvent, les entreprises restent prisonnières d’un modèle où l’efficacité immédiate prime sur l’apprentissage. On valorise l’action rapide, le « faire », au détriment du recul et de l’analyse. Résultat : les mêmes erreurs se répètent, les projets échouent, les collaborateurs se démobilisent.
Une organisation réflexive se distingue par sa capacité à transformer chaque expérience en ressource. Cela suppose plusieurs conditions :
- Sécuriser les espaces de parole. Amy Edmondson l’a montré : la « sécurité psychologique » est le terreau de l’apprentissage collectif. Une équipe qui craint la sanction ou le jugement n’osera jamais exprimer ses doutes ou ses erreurs. J’ai vu des comités de direction où le silence pesait plus lourd que les débats : chacun faisait semblant d’adhérer, alors que la réalité était tout autre. Ce n’est qu’en introduisant un rituel où chacun pouvait partager librement ses interrogations que la vérité a émergé.
- Transformer l’erreur en ressource. Dans une PME que j’ai accompagnée, le dirigeant a instauré une « réunion des erreurs utiles ». Chaque mois, les managers devaient venir avec une erreur vécue et l’enseignement qu’ils en avaient tiré. Au début, ce fut difficile : beaucoup craignaient de perdre la face. Mais peu à peu, cette pratique a libéré la parole et favorisé l’innovation. L’erreur, au lieu d’être cachée, devenait une richesse collective.
- Institutionnaliser les rituels réflexifs. La réflexivité ne doit pas dépendre d’un manager éclairé ou d’un coach ponctuel. Elle doit faire partie de l’ADN de l’organisation. Certaines entreprises que j’ai accompagnées ont systématisé les after-action reviews : chaque projet, réussi ou non, est suivi d’un retour d’expérience. Cette discipline a réduit drastiquement le taux d’échec des initiatives stratégiques.
Au niveau organisationnel, la réflexivité n’est pas un supplément, c’est une architecture culturelle. Elle permet de passer d’une organisation qui « exécute » à une organisation qui « apprend », et donc qui s’adapte en permanence.
4 – La réflexivité au niveau sociétal : répondre aux grands enjeux
La réflexivité ne s’arrête pas aux frontières de l’organisation. Dans un monde traversé par des crises géopolitiques, climatiques, sociales et technologiques, elle devient un enjeu profondément sociétal. Les entreprises ne peuvent plus se limiter à produire de la valeur économique ; elles doivent aussi interroger leur impact global.
C’est ce qu’Edgar Morin appelait la « pensée complexe » : relier les dimensions économiques, sociales, environnementales et humaines. Sans réflexivité, les organisations se contentent de réponses mécaniques : produire plus, réduire les coûts, optimiser. Avec la réflexivité, elles peuvent poser d’autres questions :
- « Quelle est notre contribution positive à la société ? »
- « Quelles externalités générons-nous, et comment les prenons-nous en compte ? »
- « Quel sens voulons-nous donner à notre activité ? »
C’est là qu’intervient la notion d’entreprise à mission, introduite en France par la loi Pacte de 2019. Une entreprise à mission ne définit pas seulement ses objectifs économiques, elle inscrit dans ses statuts une « raison d’être » et des engagements sociaux et environnementaux. Cette démarche suppose une réflexivité institutionnalisée : l’entreprise accepte de se poser régulièrement la question de sa finalité, de la cohérence entre ses actes et ses valeurs, et d’en rendre compte publiquement.
J’ai accompagné un comité de direction d’une PME qui envisageait ce changement de statut. Au départ, certains y voyaient un simple outil de communication. Mais en travaillant de manière réflexive — en interrogeant ce que cette transformation signifiait pour eux, pour leurs collaborateurs et pour leurs clients —, ils ont compris que cela impliquait de réinterroger leur identité profonde. La RSE n’était plus un « coût » ou une « contrainte », mais une manière de donner du sens et de renforcer la cohésion interne. L’entreprise à mission devenait un projet collectif, où la performance financière et la responsabilité sociétale se nourrissaient mutuellement.
La réflexivité au niveau sociétal est donc une posture de responsabilité et de durabilité. Elle pousse les entreprises à dépasser la logique du court terme, à aligner leurs stratégies avec leur raison d’être, et à accepter un devoir de cohérence et de transparence. Dans un monde où la confiance des citoyens et des consommateurs est fragile, cette réflexivité n’est pas seulement un atout : elle devient une condition de légitimité.
5 – Mon chemin réflexif et ce que j’en transmets aujourd’hui
Mon parcours illustre ce chemin. J’ai moi-même traversé ces niveaux de réflexivité, et c’est ce qui nourrit aujourd’hui ma pratique : aider mes clients à transformer leur réflexivité en force durable, au service d’eux-mêmes, de leurs équipes, de leurs organisations et, au-delà, de la société.
Comme DRH, j’étais dans une posture de contrôle. Je devais rassurer les directions, gérer des crises sociales, prendre des décisions parfois difficiles comme des plans sociaux. Mon identité professionnelle reposait sur ma capacité à « savoir » et à « décider ». Mais en devenant coach, j’ai dû déconstruire cette croyance. J’ai compris que ma valeur n’était plus dans mes réponses, mais dans ma capacité à faire réfléchir l’autre.
Cela n’a pas été simple. Il m’a fallu accepter mes vulnérabilités, affronter mes peurs : peur de perdre ma légitimité, peur de ne plus être « utile », peur de l’incertitude. Ce chemin, je l’ai traversé grâce à mes propres pratiques réflexives :
Ce parcours m’a appris que la réflexivité n’est pas confortable, mais qu’elle est profondément libératrice. Aujourd’hui, quand j’accompagne un dirigeant en transition ou une équipe en tension, je sais ce que cela signifie de se sentir perdu, de devoir redéfinir son rôle, de chercher un nouvel alignement. Je ne parle pas depuis une théorie : je parle depuis une expérience vécue.
C’est sans doute ce qui donne à ma pratique sa force : j’incarne ce que je transmets. Je n’accompagne pas seulement mes clients vers plus de réflexivité, je leur montre, par mon propre chemin, que c’est possible, que cela demande du courage, mais que c’est le plus sûr levier de transformation durable.
La réflexivité n’est pas seulement un outil. C’est une posture de vie et de management, la condition d’une performance qui dure.
La réflexivité, force intime et levier collectif
En parcourant ce chemin de la réflexivité, de ses origines philosophiques et sociologiques à son rôle dans le coaching et le management, une évidence se dessine : la réflexivité n’est pas une option, mais une nécessité vitale dans le monde complexe d’aujourd’hui.
Elle est d’abord une démarche intime. Elle oblige chacun de nous à se confronter à ses filtres, à ses croyances, à ses peurs. Elle invite à ralentir dans un univers qui valorise la vitesse, à prendre le temps de se regarder agir, à s’interroger sur l’écart entre nos intentions et nos impacts. Pour le manager comme pour le coach, cette lucidité est le point de départ de toute transformation.
Elle est ensuite une dynamique collective. Dans une équipe, la réflexivité permet de dépasser les postures défensives pour entrer dans un apprentissage partagé. Elle transforme un groupe de personnes qui travaillent côte à côte en un collectif apprenant, capable d’affronter ensemble l’incertitude et d’inventer de nouvelles réponses.
Elle devient aussi un pilier organisationnel. Les entreprises qui intègrent des rituels réflexifs — feedbacks, after-action reviews, codéveloppement — construisent une culture de l’apprentissage continu. Elles passent d’une logique d’exécution à une logique d’adaptation, condition indispensable pour réussir les transformations.
Enfin, la réflexivité prend une dimension sociétale. À l’heure des défis géopolitiques, climatiques, technologiques et sociaux, elle pousse les organisations à interroger leur raison d’être et leur impact global. Les démarches d’entreprise à mission incarnent cette exigence : aligner la performance économique et la responsabilité sociale, et rendre compte de cette cohérence. La réflexivité devient ici un facteur de légitimité, au service de la société tout entière.
Mon propre parcours, du rôle de DRH à celui de coach, illustre ce chemin. J’ai dû déconstruire mes certitudes, accepter mes vulnérabilités, redéfinir ma légitimité. Ce processus réflexif m’a appris que la véritable force ne réside pas dans le contrôle ou dans les réponses toutes faites, mais dans la capacité à se questionner et à accompagner les autres à le faire. Aujourd’hui, c’est cette expérience que je transmets à mes clients : la réflexivité n’est pas confortable, mais elle est le plus sûr levier de transformation durable.
Dans un monde où l’incertitude est devenue la norme, la réflexivité est plus qu’une compétence : c’est une posture de vie et de management. Elle est à la fois un acte de lucidité et un acte d’humilité. Elle relie la performance et l’humanité, l’efficacité et l’éthique, le court terme et le long terme.
Et si, au fond, la véritable puissance d’un leader, d’un manager, d’un coach ou d’une organisation se mesurait moins à sa capacité à « savoir », qu’à sa capacité à réfléchir sur ce qu’il fait, sur qui il est et sur ce qu’il veut laisser comme trace ?
Bibliographie sélective
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- Giddens, A. (1991). Modernity and Self-Identity. Polity Press.
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